[Article réalisé pour Numéro Zéro, magazine des élèves de l’ESJ]
Territoire agricole, le Tarn vit du travail de la terre et se passionne pour le rugby. Le département à beau être en périphérie du nouveau monde, il n’en demeure pas moins est affecté par ses soubresauts.
Mon village est petit, mais il a une expression dans le Larousse qui lui est dédiée. Peu de bourgades peuvent en dire autant. Si un jour vous êtes « entre Gaillac et Rabastens », vous vous situé à Lisle-sur-Tarn, mon patelin. Mais ça peut aussi signifier que vous êtes ivre. Ce qui s’explique par la production lisloise du vin de Gaillac, la plus importante de l’appellation.
Le vin ne caractérise pas seulement le vocabulaire qui désigne mon village. Il caractérise aussi sa campagne, ses habitants, sa culture et ses fêtes. Le vin semble l’épicentre de tout ici. Le vin fait vivre Gaillac et ses alentours, et le Gaillac fait vivre les amitiés.
Dans Saint Amour, un film de Benoit Delepine et Gustave Kervern, la gérante d’une pizzeria compare Gérard Depardieu à du Gaillac : « C’est fort, charpenté, un peu comme vous ». En plein cœur du Tarn, le vin est certes parfois un peu tannique, mais c’est il est toujours issu de belles histoires, celles des femmes et des hommes qui le produisent.
Au lycée, je me suis ainsi lié d’amitié avec un fils de vignerons, qui prend progressivement en main le domaine familial. Au sein de notre bande de copains, on l’a toujours un peu charrié notre vigneron, car il utilise beaucoup de Glyphosate. Sensibles à l’écologie, on a toujours vu cette pratique d’un mauvais œil. Mais quand on a pris le temps d’en discuter avec lui, la situation a paru plus complexe qu’à première vue.
« Ma famille a bâti le domaine sur la quantité plus que sur la qualité, c’est ce qui se faisait à l’époque. On a 60 hectares à gérer. C’est énorme. Pour ça on s’endette pour avoir les machines et on utilise beaucoup de produits, c’est sûr. Mais si je veux revenir à une production plus respectueuse de la planète, c’est presque impossible. On a les outils pour une production comme celle-ci, financièrement, c’est pas tenable de passer au bio pour nous. »
Pris dans cette engrenage, il est pratiquement impossible pour le domaine de devenir bio, d’autant que ce n’est pas une solution sans risque car le cuivre que propagent certains exploitants bio est néfaste lui aussi. Mais, ce n’est pas la seule victime de cette politique agricole productiviste hérité de l’après-guerre. Plusieurs vignerons m’ont tenu le même discours à la dernière fête des vins de Gaillac, l’événement de l’été. Certains ont pourtant réussi leur réorientation vers le bio avec succès, c’est le cas du très bon domaine de Brin. Mais cette transition a été rendue possible grâce à la faible surface cultivée — 12 hectares — et à une montée en gamme, ses bouteilles coûtant deux à trois fois plus chères que celles de mon ami. Un modèle difficilement exportable sur un domaine de 60 hectares.
Entre agriculteurs et zadistes
Les problèmes liés au modèle agricole productiviste sont prégnants dans ma région, très rurale. Et ils peuvent même être fatals. Lors de la Zad de Sivens — la forêt de Lisle-sur-Tarn — le militant écologiste Rémi Fraisse a été tué par un tir de grenade offensive. Les politiciens ont défilé pour la première fois dans mon village : Jean-Luc Mélenchon, José Bové etc. Pendant quelques mois, les gens ont enfin pu placer Lisle-sur-Tarn sur une carte. Même le média américain Vice est venu.
Rémi Fraisse était opposé à la construction d’un barrage réclamé par les agriculteurs locaux pour arroser leurs champs. Il faut dire qu’ici, on cultive paradoxalement du maïs, une plante tropicale qui nécessite une humidité qui n’est pas présente dans le sud-ouest. Alors on l’asperge en pleine journée avec des arroseurs automatiques perchés. Inutile de préciser que la perte d’eau est immense. Et c’était tout l’enjeu autour de la construction de ce barrage qui a depuis été abandonné : trouver une nouvelle source pour irriguer les champs alentours.
D’autre part, ce modèle intensif et dégradant la planète fait vivre, même s’il fait vivre à crédit. L’agriculture contribue à hauteur de 10,4% de l’activité économique du département, ce qui est énorme. Ce chiffre est de 3,5% au niveau national. Mais sans la solidarité, le patrimoine familial et les aides de l’Etat ou de l’Union Européenne, beaucoup d’agriculteurs ne pourraient pas vivre de leurs activités.
Un rugby qui quitte progressivement ses terres
Si le vin fait vivre le Tarn, le rugby le fait vibrer. Terre d’ovalie, le département a du mal à faire face à la professionnalisation du sport roi du Sud-Ouest. Il y a 10 ans, Albi, préfecture du département, jouait encore dans l’élite face aux autres équipe du Top 14. Gaillac, ville de 15 000 habitants a aussi connu son épopée fulgurante, aussi courte que tragique.
En 2006, la ville et le club de plusieurs légendes du rugby — Vincent Moscato et de Bernard Laporte pour ne citer qu’eux — accède au Saint Graal : la Pro D2. Toute la ville s’enflamme. La Dépêche du Midi décrit cet événement avec émotions :
« C’est le temps des embrassades, des pleurs, des joies, de ce bouclier qu’il est si doux de toucher. C’était le temps de l’année glorieuse de Gaillac, le temps des sourires, du titre et de la montée ».
Sur le terrain tout va bien. Mais en coulisse, le président du club Hubert Mauillon ne peut plus arroser financièrement le club. Véritable poumon économique de la ville, M. Mauillon possède un espace commercial, un hypermarché Leclerc, un restaurant … Et l’Union Athlétique Gaillacoise. Il est compliqué d’y voir clair dans cette affaire et savoir si, comme la rumeur de clocher le suggère, l’homme d’affaires a eu les yeux plus gros que le ventre. Une seule certitude : le club accuse un retard de paiement des salaires aux mois de février et d’avril. Le club, malgré sa dixième place, est rétrogradé en Fédéral 3, puis il est mis en liquidation judiciaire le 13 juillet 2007. C’est la fin d’une époque qui faisait la fierté de Gaillac.
Aujourd’hui, le seul club professionnel tarnais est Castres. Un digne représentant puisque les bleus et blancs ont remporté le championnat de France. Mais combien de temps les Castrais pourront-ils rester dans le Top 14 ? 11ème budget, le CO, le Castres Olympique, tient tête depuis des années à des clubs avec des budgets bien plus conséquents. Montpellier, contre qui les tarnais ont arraché le bouclier de Brennus, pèse 26,9 millions. Castres en pèse cinq de moins. Mais le CO peut très bien basculer en Pro D2 en une saison si le groupe pharmaceutique tarnais Pierre Fabre ne le soutient plus financièrement. Ce qui pourrait « Tard o d’ora », comme on dit en occitan.
« C’est le temps des embrassades, des pleurs, des joies, de ce bouclier qu’il est si doux de toucher. C’était le temps de l’année glorieuse de Gaillac, le temps des sourires, du titre et de la montée. »
La province contre le prince
Le dernier représentant du « rugby des sous-préfectures », pour reprendre l’expression lancée en conférence de presse par Pierre-Yves Revol, président du club, fait vibrer toute une région. « Nous essayons d’apporter un peu de bonheur aux gens d’une contrée un peu en difficulté. » Même si Pierre-Yves Revol cherchait à raviver le l’image d’Epinal de la campagne pour gagner le cœur du public, il y a du vrai dans ses propos. Castres fait parfois figure de ville sinistrée et les Castrais attendent depuis des décennies une autoroute pour relier la ville à Toulouse, comme c’est le cas à Albi. Cette absence pénalise l’économie d’une ville où le taux de chômage atteignait les 18,4% au dernier recensement de l’INSEE en 2015, alors qu’à Gaillac ce taux n’était « que » de 16,9%, 14,3 pour l’ensemble du département.
Mais là aussi, l’écologie s’en mêle. Le Premier ministre Édouard Philippe a déclaré l’autoroute d’utilité publique en juillet 2018. Le vice-président de France Nature Environnement Midi-Pyrénées s’y oppose farouchement. « Cette décision de l’État ne peut que nous écœurer et nous interroger (…) sur la volonté de l’État à engager une vraie politique de transition écologique et solidaire. »
Ce clivage entre intérêts économiques et intérêts écologiques persiste dans de nombreux domaines. Et le chômage aussi. On peut tenter de voir dans ce taux élevé une explication aux votes des tarnais, qui avaient placé Marine Le Pen en tête du premier tour. Mais cela ne serait pas suffisant. Emmanuel Macron, prince des villes, ne parle pas à la campagne. En difficulté dans ce que certains nomment la « France profonde », il s’était rendu à Albi pour son ultime déplacement avant son face à face avec la présidente d’un parti qui s’appelait encore le Front National. Une frange de ma famille n’a d’ailleurs jamais caché sa sympathie pour les idées du parti de Jean-Marie Le Pen. Au premier tour, parents, grands-parents et cousins compris, personne ne semble avoir glissé un bulletin En marche. Ma mère, elle, avait préféré Jean Lassalle. Elle trouve que le député du Béarn « est authentique et qu’il nous ressemble ».
Si Emmanuel Macron avait choisi la ville de Jean Jaurès cela n’avait rien d’anodin : le candidat cherchait là un symbole de son autoproclamé dépassement des clivages politiques traditionnels. « On est dans le périmètre politique de la gauche spiritualiste », décrypte alors Jean-Michel Ducomte, professeur à Sciences Po Toulouse, pour le Huffington Post. Il poursuit : « En venant ici, même si la ville est plus bourgeoise que le reste du département, c’est aussi à la France périphérique qui vote FN qu’il vient s’adresser. »
Dans ce territoire où le vin se mêle au rugby, il est facile de comprendre que Macron ne parle pas à tout le monde. Alors Marie-Christine Verdier-Jouclas, député LREM fraichement élue, se bat pour essayer de séduire les agriculteurs, quitte à lancer ce qui est passé pour une énormité auprès de certains. La députée de la deuxième circonscription du Tarn a déposé un amendement pour qu’il y ait à l’avenir des soldes sur les produits phytosanitaires. Elle a défendu son idée à l’Assemblée Nationale :
« On veut donner du pouvoir d’achat aux agriculteurs. Permettons-leur d’acheter à un prix inférieur des produits phytosanitaires. Mon amendement vise à maintenir des rabais à la manière des soldes. »
Beaucoup ont ri. Pas mon ami vigneron qui s’est senti défendu. « On est en discussion avec elle. Au moins, elle nous écoute et elle propose des choses. » Et pour les agriculteurs, qui se sentent souvent seuls, c’est déjà beaucoup.
Vincent Bresson